Salades thaïlandaises. Comprendre les techniques, les familles et les usages régionaux
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Les salades thaïlandaises. Un système culinaire structuré par les techniques et les régions
Les salades thaïlandaises ne forment pas une simple catégorie de plats frais. Elles constituent un ensemble organisé où les techniques, les ingrédients et les usages régionaux déterminent la structure de chaque recette. Leur cohérence repose sur la base d'une organisation en familles clairement différenciées.
Les grandes familles de salades
Yam. L’assaisonnement comme colonne vertébrale
Les yam, ยำ, constituent la famille de salades la plus vaste et la plus flexible de la cuisine thaïlandaise. Elles reposent toutes sur un assaisonnement fluide, généralement très vif, structuré autour du trio citron vert, sucre et sauce poisson. La plupart sont fortement piquantes et utilisent des piments frais, même si certaines variantes incorporent des piments secs. Leur point commun réside dans une recherche d’impact aromatique immédiat plutôt que dans la subtilité ou la progressivité.
Il est difficile d’établir une typologie stricte tant la famille est diverse. On peut néanmoins distinguer plusieurs ensembles, soit en fonction de leur composition, soit en fonction de la nature de leur assaisonnement.
Les yam centrées sur les protéines animales
De nombreuses yam reposent presque entièrement sur des produits d’origine animale, simplement relevés par des herbes fraîches, quelques aromatiques et un assaisonnement puissant. C’est le cas de la salade d’œufs durs salés, yam khai khem, de la salade de saucisse chinoise, yam kun chiang, ou encore de la salade de calamar, yam plamuek. Ces recettes privilégient l’impact des protéines et utilisent les herbes comme contrepoint aromatique, sans chercher une complexité particulière.
Les yam de mangue verte
Les salades de mangue verte (mangue jeune) forment un ensemble important. La plupart appartiennent à la famille des yam, même si certaines versions pilées relèvent des tam. Ces recettes présentent une grande variété d’associations, notamment autour de la crevette : crevettes fraîches, crevettes séchées, voire pâte de crevettes fermentées. Leur intérêt réside dans la complémentarité entre l’acidité naturelle de la mangue jeune et la puissance de l’assaisonnement. La texture croquante de la mangue jeune est également très appréciée.
Les yam végétales
Les yam végétales, beaucoup moins représentées, proviennent souvent du Nord de la Thaïlande. Elles sont peu connues en dehors de leur zone d’origine et même relativement rares au sein du Royaume. On y trouve, par exemple, la salade de moutarde chinoise, yam phak kat jo, ou la salade de feuilles de thé, yam bai cha. Dans le Sud, la salade d’algues, yam sarai, constitue un autre exemple de yam végétale. Elles ne sont pas pour autant végétariennes, car l’assaisonnement comporte généralement de la sauce poisson. Quelques exceptions existent, notamment dans certaines salades du Nord assaisonnées uniquement au sel, mais elles demeurent marginales.
Les yam à l’assaisonnement atypique
Si la grande majorité des yam s’appuie sur l’équilibre citron vert, sucre et sauce poisson, quelques salades dérogent à ce modèle. Certaines utilisent de la pâte de piment rôtie, normalement caractéristique des salades de type "phla", comme la célèbre salade de pomelo, yam som o (retrouvez une recette de pâte de piment rôtie en fin d'article). D’autres incorporent de la pâte de crevettes dans l’assaisonnement, par exemple la salade de santol, yam kraton, ou certaines salades de mangue verte associées au lait de coco, yam mamuang kati, une recette typique du Sud de la Thaïlande.
Focus. Deux yam emblématiques
Yam Wun Sen
La yam wun sen est l’une des salades les plus appréciées en Thaïlande. Elle repose sur des vermicelles de soja, des gambas, du porc haché, associés à un assaisonnement fort aigre et généreusement pimenté. Diverses versions coexistent : avec ou sans viande, uniquement avec des gambas ou un mélange de fruits de mer. Cette salade constitue une synthèse très claire de la logique des yam : assaisonnement fluide, chaleur immédiate du piment frais, herbes en quantité équilibrée, et combinaison de textures contrastées. C’est une salade emblématique, représentative du goût thaï contemporain.
Yam Som O
La yam som o est à la fois très populaire et techniquement intéressante. L’assaisonnement diffère nettement de celui des yam classiques. Il repose sur l’usage de pâte de piment rôtie, aigre-douce et salée et de lait de coco, naturellement sucré. Le pomelo, plus doux et moins acide que la mangue verte ou la papaye jeune, crée un équilibre différent et demande un dosage particulier du piment, tandis que la sauce poisson et le jus de citron jouent de manière plus marginale, simplement pour équilibrer les saveurs.
Tam. Les salades pilées
La famille des tam, ตำ, occupe une place singulière dans la cuisine thaïlandaise. Le terme tam signifie « piler » et décrit la technique, tandis que som tam signifie littéralement « aigre et pilé », ce qui renvoie à la salade de papaye verte devenue emblématique dans tout le pays. Par extension, som tam désigne cette salade précise, mais la famille des salades pilées est beaucoup plus large et s’étend principalement au Nord et au Nord-Est de la Thaïlande.
Ce qui caractérise les tam n’est pas seulement l’usage du mortier, mais la manière dont la technique influence la texture, l’assaisonnement et la perception du piment. Il existe deux logiques principales : piler les ingrédients eux-mêmes, ou piler uniquement l’assaisonnement. Les deux méthodes s'appliquent à des ingrédients différents.
Les tam où les ingrédients sont pilés
Les salades les plus connues de ce groupe utilisent des fruits jeunes, à la texture ferme, qu’il faut assouplir pour libérer leur jus et permettre une meilleure absorption de l’assaisonnement. C’est le cas de la som tam (papaye verte), mais aussi des salades de mangue verte pilée, ou encore de préparations moins connues comme les salades de santol ou de jacquier. La technique consiste à piler doucement, en alternant coup de pilon et cuillère, afin de plier les fibres sans les écraser. Le but est d’amener les ingrédients à un stade où ils absorbent l’assaisonnement sans perdre leur structure.
Dans ce type de recettes, le pilonnage agit sur la texture : il rend les ingrédients plus souples, plus juteux, plus aptes à se mêler à l'assaisonnement.
Les tam où seul l’assaisonnement est pilé
D’autres salades pilées ne touchent presque pas aux ingrédients principaux. Ce sont surtout les piments, l’ail et les assaisonnements qui sont pilés L’objectif est de libérer des saveurs vives et d’obtenir une pâte aromatique qui se diluera ensuite dans le liquide de l’assaisonnement. Ce procédé est courant dans les salades à base de fruits mélangés, tam ponlamai ou de légumes dont on veut conserver l’intégrité, comme par exemple une salade de concombre, tam tengkwa.
Dans ce cas, piler les piments prend un sens particulier : le pilonnage vise à diffuser le piquant dans l’ensemble de la préparation, ce qui donne un profil plus homogène et souvent plus intense.
Assaisonnement fluide de l’Isan vs assaisonnement épais du Nord
Les tam de l’Isan reposent sur un assaisonnement fluide proche de celui des yam : sauce poisson, jus de citron vert, tamarin, sucre. La différence majeure vient de l’usage d’ingrédients fermentés, qui modifient profondément le goût.
La sauce poisson pla ra est l’élément emblématique. Elle est obtenue à partir de poissons d’eau douce fermentés avec du riz grillé ou du son de riz, ce qui produit une sauce épaisse, sombre et très parfumée. S’y ajoutent souvent les crabes de rizière fermentés, pilés pour libérer leur jus, qui renforcent la salinité et apportent une dimension iodée intense. L’ensemble donne aux tam de l’Isan un profil gustatif puissant, sans équivalent dans les yam.
Le Nord utilise également des produits fermentés, mais dans un cadre différent. Les assaisonnements y sont moins fluides, moins acidulés, et s’appuient sur des saveurs plus denses. Le principal ingrédient est le nam pu, pâte de crabe de rizière fermenté et cuite longuement jusqu’à obtenir une texture épaisse et compacte. La saveur qui en résulte est profonde, saline et terrienne, très différente de la palette aromatique de l’Isan.
Ainsi, même si les deux régions partagent l’usage de la fermentation, leurs salades pilées produisent des résultats distincts : fluide, aigre-doux-salé et intensément fermenté en Isan ; dense, rustique et à dominante salée dans le Nord.
Focus sur la salade de papaye verte, som tam.
La som tam forme une sous-famille à elle seule au sein des salades pilées. Il en existe de nombreuses variantes, aussi bien dans l’assaisonnement, qui peut reposer sur une sauce poisson classique ou fermentée et sur du jus de citron éventuellement complété de tamarin, que dans les ingrédients eux-mêmes : crabe de rizière fermenté, crevettes séchées ou fraîches, œufs de canne salés, ou encore crabe bleu cru dans la version populaire du Sud, une préparation qui n’est pas sans rappeler la famille des koi et la culture du cru dans les salades de l’Isan. Cette richesse justifie à elle seule un article dédié, qui présentera les principales variantes de som tam et leur logique culinaire. Pour l'heure découvrez sur notre blog la version "classique" de la salade de papaye verte aux crevettes séchées.
Et pour ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur les particularités de la cuisine de l'Isan, consultez l'article détaillé que nous lui avons consacré : Cuisine de l’Isan : de l’histoire au goût, les plats qui racontent le Nord-Est
Larb. Les salades hachées
Les larb, ลาบ, forment une famille de salades hachées caractéristiques du Nord et du Nord-Est de la Thaïlande. Leur point commun est simple : elles sont presque toujours émincées ou hachées. Pour le reste, les logiques divergent fortement entre les deux régions, au point qu’il est souvent plus juste de parler de deux familles parallèles plutôt que d’un ensemble homogène.
Ce que les larb ont en commun
Les larb reposent quasi-exclusivement sur des protéines animales, même si l’on trouve quelques exceptions végétales, comme les larb de champignons ou de fleur de bananier. Les légumes, lorsqu’il y en a, sont servis en accompagnement, concombres, haricots kilomètre, chou chinois, et non mélangés à la salade elle-même.
Toutes les versions partagent également une culture du hachage : viande ou poisson hachés ou coupés en petit morceaux, éventuellement associés à des morceaux plus fermes tels que couenne, foie ou autres abats. Cette structure dense distingue les larb des yam, qui reposent sur des ingrédients plus diversifiés et des assaisonnements fluides.
Les larb de l’Isan. Salés, piquants, et structurés par le riz gluant grillé
Les larb de l’Isan, la forme aujourd’hui la plus diffusée en Thaïlande comme à l’étranger, peuvent être réalisés avec du porc, du poulet, du canard, du bœuf ou du poisson. Certaines recettes mêlent plusieurs éléments, par exemple un mélange de porc haché, couenne et foie.
L’assaisonnement repose sur un salé-piquant net, avec une acidité présente mais moins marquée que dans les yam : sauce poisson, un peu de sucre, une quantité modérée de citron vert. Le piquant est assuré presque exclusivement par des flocons de piment, complétés parfois par des piments secs rôtis. Contrairement aux yam ou aux tam, les piments frais sont rares.
Un élément structure les larb de l’Isan et n’apparaît dans aucune autre famille : le riz gluant grillé concassé, khao kua. Du riz gluant cru est rôti à sec jusqu’à devenir doré, puis pilé en poudre grossière. Il fournit à la salade une double fonction : une texture granuleuse qui accroche la viande et une saveur grillée distinctive. Retrouvez le lien vers la recette du riz gluant grillé en fin d'article.
Côté cuisson, tout existe : larb crus, semi-crus, pochés dans un fond d’eau, ou cuits plus longuement. Les versions cuites peuvent aussi être déclinées en boulettes, grillées ou frites, sans perdre leur identité.
Les larb du Nord. Une logique totalement différente
Les larb du Nord n’ont presque rien en commun avec ceux de l’Isan, si ce n’est le hachage. Ils reposent sur un mélange d’épices appelée prik laap, un mélange dont la composition varie énormément selon les cuisiniers. Les épices typiques incluent des piments de Cayenne, des graines de coriandre, du Zanthoxylum limonella, mais aussi cumin, fenouil, macis, anis étoilé, cardamome, clou de girofle ou cannelle, dans des proportions extrêmement variables.
Les versions les plus traditionnelles révèlent un trait culturel fort : la culture du cru. On trouve ainsi des larb complètement crus, des larb « au sang » où le sang de porc ou boeuf est mélangé à la viande pour lui donner son moelleux, des larb cuits brièvement, dans lesquels le sang peut être présent ou non.
Certains larb du Nord associent porc haché, sang, couenne, foie, intestins, herbes aromatiques (menthe vietnamienne, coriandre, oignon frais), ail frit, échalotes frites et piments secs frits. L’ensemble donne une salade dense, profonde, très aromatique, à mi-chemin entre la salade et le ragoût sec, sans acidité marquée.
Dans les larb du Nord, on ne retrouve ni riz gluant grillé concassé, ni assaisonnement aigre-doux-salé. Ce sont des salades salées, épicées et herbacées, dont le caractère repose entièrement sur la pâte d’épices et, dans les versions crues ou semi-crues, sur la texture de la viande.
Deux cultures du cru
Comme pour les tam, la famille des larb offre une porte d’entrée sur la culture du cru dans la cuisine du Nord et du Nord-Est. Les larb crus, au sang ou légèrement cuits font écho au crabe bleu cru des salades de papaye verte du Sud ou aux koi, une famille de salades crues de l’Isan. Cette dimension crue est un élément culturel majeur, qui distingue profondément les larb des yam et, dans une certaine mesure, des tam.
Focus. Larb moo, le modèle isanois
Le larb moo, larb de porc légèrement cuit, est l’une des préparations les plus représentatives des salades hachées de l’Isan. La viande est pochée rapidement, puis mélangée à un assaisonnement salé et piquant composé de sauce poisson, de flocons de piment et d’un peu de citron vert. Le riz gluant grillé concassé fixe les arômes et apporte la note grillée caractéristique de cette famille.
Vous pouvez découvrir cette recette sur notre blog, où elle figure déjà dans sa version détaillée. Par ailleurs, un article spécialisé rassemblera prochainement les différentes variantes de larb thaïlandais. Il permettra de présenter les distinctions régionales et les principales déclinaisons culinaires de cette famille de salades.
Phla et koi. Les salades crues ou semi-crues
Les phla et les koi forment un ensemble de salades crues ou semi-crues dont les logiques culinaires sont distinctes. Elles occupent une place à part dans la gastronomie thaïlandaise, où la cuisson minimale et la fraîcheur aromatique jouent un rôle central.
Phla. Les salades aux herbes
Les phla, พล่า, se distinguent par leur abondance d’herbes : citronnelle finement tranchée, menthe, coriandre longue, coriandre et ciboule. Cet assemblage dense les différencie nettement des yam, où ces herbes ne sont pas systématiques.
La cuisson est réduite au strict nécessaire. Certaines recettes utilisent des fruits de mer brièvement frits, comme les calamars légèrement farinés et saisis avant d’être mélangés aux herbes. D’autres reposent sur une viande grillée encore rosée, tranchée finement et simplement mêlée à l’assaisonnement. À l’inverse, certaines préparations de crevettes ou d’écrevisses sont « cuites » uniquement par le jus de citron, qui les rend partiellement opaques sans les cuire réellement.
L’assaisonnement est vif, aigre-salé-sucré, et parfois complété par de la pâte de piment rôtie. Les protéines sont tranchées, jamais hachées, ce qui éloigne les phla à la fois des yam et des larb.
Koi. Les salades crues de l’Isan
Les koi, ก้อย, représentent l’une des expressions les plus directes de la culture du cru dans l’Isan. La protéine y est toujours crue, hachée ou coupée très finement, puis mélangée à un assaisonnement fluide composé de sauce poisson, de citron vert, de sucre et de flocons de piment.
Le riz gluant grillé concassé y tient un rôle essentiel : il absorbe l’excès d’humidité, fixe les arômes et apporte une note grillée légère. Ce marqueur technique rapproche les koi des larb de l’Isan, tout en les distinguant des phla, où il n’apparaît jamais.
Les exemples traditionnels montrent l’étendue de cette famille. Le koi kung est préparé à partir de gambas crues hachées, assaisonnées puis complétées de quelques herbes pour préserver la fraîcheur. Le koi khai mot deng, à base d’œufs de fourmis rouges, met l’accent sur une texture fondante associée à un assaisonnement vif. On trouve également des koi de poisson d’eau douce, de bœuf cru ou de porc cru, relevés de piment et structurés par le riz gluant grillé.
Les koi utilisent moins d’herbes que les phla, mais reposent sur une structure aromatique très marquée, dont la crudité est la signature.
Deux esthétiques du cru
Ensemble, phla et koi reflètent deux manières d’aborder le cru dans la cuisine thaïlandaise :
un semi-cuit, largement porté par les herbes dans les phla ;
un cru intégral, structuré par le hachage et le riz gluant grillé dans les koi.
Cette distinction explique pourquoi ces familles, souvent rassemblées sous l’expression de salades crues ou semi-crues, possèdent en réalité des identités culinaires très différentes.
Focus. Phla neua yang, la salade de bœuf grillé à la citronnelle
Le phla neua yang illustre parfaitement la logique des phla. Le bœuf est simplement grillé, encore rosé, puis tranché finement et mêlé à un mélange aromatique dominé par la citronnelle, l’échalote, la menthe et la coriandre longue. L’assaisonnement reste vif, structuré par la sauce poisson, le citron vert et une pointe de sucre, parfois complété de pâte de piment rôtie. Vous pouvez découvrir cette recette sur notre blog, où elle est présentée dans sa version détaillée.
Sa. Les salades végétales à la pâte de piment
Les sa, ส้า, forment une famille de salades propre au Nord de la Thaïlande, structurée par une pâte de piment pilée puis sautée, ce qui les distingue de toutes les autres salades du Royaume. Cette pâte, préparée avec des piments secs, de la citronnelle, du galanga, de l’ail, des échalotes et des éléments fermentés (pâte de crevettes, sauce poisson fermentée), joue un rôle central : elle sert d’assise aromatique, remplace l’assaisonnement fluide des yam ou des tam, et ancre ces salades dans une esthétique régionale très spécifique.
Un usage du piment précis, et différent de toutes les autres familles
L’usage du piment dans les sa repose sur deux gestes complémentaires, clairement distincts :
Le piment sec est d’abord rôti à sec ou grillé. Dans de nombreuses recettes traditionnelles, les piments secs sont rôtis à sec sur une plaque ou grillés à la flamme pour intensifier leur arôme. C’est une étape sèche, sans huile.
La pâte complète est ensuite cuite brièvement dans un peu d’huile. La pâte une fois pilée est revenue dans une petite quantité d’huile afin de libérer ses saveurs. Cette cuisson est très courte et n’a rien à voir avec une friture profonde. Elle donne à la pâte une dimension plus ronde et légèrement caramélisée.
Ces deux étapes successives, rôtir les piments puis frire légèrement la pâte, produisent un profil aromatique dense, direct, sans acidité structurante. Quelques recettes utilisent une forme d’acidité naturelle, comme les jeunes feuilles de tamarin, mais celle-ci reste marginale par rapport au reste de la famille.
Une dominante végétale rare dans les salades thaïlandaises
L’autre trait distinctif des sa est leur composition majoritairement végétale. Alors que les salades thaïlandaises reposent souvent sur des protéines animales ou des fruits de mer, les sa mettent en avant des éléments végétaux souvent foragés ou saisonniers.
On trouve ainsi par exemple sa yot makham, à base de jeunes feuilles de tamarin, sa pli, à la fleur de bananier écrasée à la main, sa makhuea chae, aux aubergines amères, parfois complétée de porc, sa phak ruam, mélange de jeunes pousses sauvages, sa yot mamuang, aux jeunes feuilles de manguier.
Ce sont parmi les seules véritables salades végétales du répertoire thaïlandais, en dehors de quelques yam végétales très locales du Nord.
Il existe des versions carnées, comme sa chin, à base de viande de bœuf ou de buffle fraîche, parfois associée à des viscères cuits. Mais même dans ces cas, la pâte de piment reste le cœur technique de la recette.
Une texture dense, malaxée, caractéristique du Nord
Les sa présentent une texture semi-sèche, presque pâteuse, obtenue en malaxant la pâte de piment cuite avec les herbes, les aromatiques et l’ingrédient principal. Dans les salades végétales, certaines composantes comme la fleur de bananier sont écrasées à la main, ce qui permet d’assouplir les fibres et d’intégrer uniformément la pâte.
L’ensemble donne des salades très éloignées des yam fluides ou des larb hachés. Les sa fonctionnent selon une logique propre, fondée sur une pâte de piment pilée et cuite, une dominante végétale, une salinité marquée, une intensité aromatique directe et une absence presque totale d’acidité. La cuisine du Nord est très différente de celle du reste du pays et cette famille de salades en constitue l'une des expressions les plus singulières.
Si vous souhaitez en apprendre davantage sur cette région de Thaïlande qui ne ressemble à aucune autre, consultez l'article que nous lui avons consacré : Les cuisines du Nord de la Thaïlande : entre montagnes, thé et traditions.
Focus. Sa yot makham, la salade de feuilles de tamarin et de tomates
Le sa yot makham illustre clairement la logique des salades sa du Nord : une pâte de piment pilée puis légèrement frite, mélangée à du porc haché avant d’être associée à des légumes frais. Les jeunes feuilles de tamarin apportent une légère acidité naturelle, tandis que les tomates, ingrédient peu présent dans le reste de la cuisine thaïlandaise, reflètent un usage régional propre au Nord. L’ensemble donne une salade végétale dense, structurée par la pâte de piment et les éléments fermentés plutôt que par un assaisonnement fluide. Cette recette est disponible sur notre blog.
Les catégories fluides
Certaines préparations thaïlandaises empruntent les techniques ou les principes des salades tout en appartenant à d’autres registres culinaires. Leur classification dépend davantage du contexte culturel que d’une logique strictement technique.
Riz, nouilles et préparations céréalières hybrides
Khao yam nam budu.
Plat méridional à base de riz, il adopte pourtant une structure de salade : herbes crues, zestes, légumes croquants et un assaisonnement intense au nam budu. L’ensemble se rapproche clairement d’une salade composée, même si l’ingrédient principal reste du riz.
Khanom chin sao nam
Ce plat du Centre, constitué de nouilles de riz servies froides avec lait de coco, ananas, légumes frais et condiments, fonctionne comme une salade de nouilles, bien qu’il appartienne au registre des plats de khanom chin. Sa structure repose sur le mélange immédiat d’éléments frais juste avant le service.
Nem khluk
Les boulettes de riz grillé émiettées sont mélangées à des aromatiques, des herbes et un assaisonnement vif, ce qui crée une texture et une logique aromatique proches des yam. Pourtant, la base technique, un riz frit aggloméré, en fait un cas hybride difficile à classer.
En-cas à construction de salade
Miang kham
Servi en bouchées enveloppées dans des feuilles, ce plat rassemble herbes, agrumes, piment, cacahuètes et gingembre, dans une logique identique à celle des salades composées. C’est un en-cas par son format, mais sa construction gustative est pleinement celle d’une salade.
Kung che nam pla
Les gambas crues marinées dans la sauce poisson et le citron reposent sur un assaisonnement fluide et un service immédiat, comme une salade, mais relèvent aussi du registre des fruits de mer crus. Le plat occupe ainsi une position intermédiaire, à mi-chemin entre salade et préparation crue.
Plats de viande à la frontière des salades
Nam tok
Viande grillée tranchée, riz gluant grillé, herbes et flocons de piment composent un ensemble très proche des larb, mais avec un assaisonnement plus liquide. La texture reste celle d’un plat de viande, tandis que l’aromatique rappelle les salades.
Tigre qui pleure
Ce plat repose sur une viande grillée très aromatique, tranchée finement et associée à un assaisonnement vif et des herbes fraîches. Il partage l’essentiel de la structure des salades hachées tout en étant perçu comme un plat de bœuf grillé.
Une zone frontière dans la gastronomie thaïlandaise
Ces recettes montrent que la notion de salade en Thaïlande ne correspond pas à une catégorie fixe. Certaines préparations fonctionnent comme des salades par leur structure aromatique ou leur assemblage, mais relèvent d’autres registres par leur technique ou leur usage. Cette fluidité constitue l’une des caractéristiques marquantes de la cuisine thaïlandaise.
Focus. Tigre qui pleure, entre salade et viande grillée
Le tigre qui pleure occupe une position intermédiaire entre salade et plat de viande. Le bœuf, mariné, grillé puis tranché finement, est mêlé à un assaisonnement vif structuré par la sauce poisson, le citron vert, le sucre de coco et les flocons de piment. Le riz gluant grillé concassé apporte une note fumée qui vient renforcer les saveurs de la viande tandis que la ciboule, l’échalote et la coriandre longue assurent la fraîcheur aromatique. Vous pouvez consulter cette recette sur notre blog, où elle est disponible dans sa version détaillée.
Cuisiner les salades thaïlandaises chez soi
Après avoir parcouru l’ensemble des familles de salades thaïlandaises, des yam aux sa, vous avez sans doute envie de passer à l'action et de cuisiner vos propres salades ! Certes, la diversité est immense, mais la plupart des salades reposent sur un socle technique relativement stable. Pour cuisiner ces salades chez vous, quelques ingrédients et règles simples suffisent pour couvrir une grande partie du répertoire.
Les piments. Quatre formes essentielles
Pour reproduire les profils aromatiques les plus courants, il suffit de disposer de :
piments frais (pour les yam et les tam)
flocons de piment (pour les larb et les koi)
piments secs entiers (grillés ou rôtis selon les recettes de l’Isan)
pâte de piment rôtie (nam prik pao) pour certaines yam et phla. Vous pouvez l'acheter dans le commerce mais voici également une recette pour la préparer vous-mêmes.
Ces quatre formes couvrent l’essentiel des usages, hormis les pâtes spécifiques du Nord comme celles des sa que vous pourrez réaliser à l'aide de piments secs.
Les herbes. Une palette restreinte mais structurante
La cuisine thaïlandaise utilise peu d’herbes dans les salades, mais chacune joue un rôle précis. Les indispensables sont :
coriandre ;
ciboule;
menthe;
citronnelle.
Ces quatre éléments suffisent pour la majorité des recettes. Le céleri feuille, la feuille de kaffir et la coriandre longue permettent d’élargir la palette aromatique mais sont utiles pour un nombre plus réduit de recettes.
Les assaisonnements. Trois bases pour la plupart des recettes
Pour cuisiner la majorité des salades, un trio suffit :
sauce poisson ;
jus de citron vert ;
sucre, idéalement sucre de coco.
Cet ensemble permet déjà de préparer les yam, une partie des tam, plusieurs phla et certaines salades hybrides. Les variantes régionales (comme l’usage du pla ra en Isan) pourront être ajoutées ensuite.
Le riz gluant grillé. L’ingrédient technique des larb et des koi
Si vous souhaitez préparer des larb ou des koi, il vous faudra du riz gluant grillé concassé. Il est possible de le préparer à la maison en faisant rôtir du riz gluant cru puis en le concassant. La méthode complète figure dans nos livres de recettes consacrés d'une part aux salades et d'autre part à l'Isan. Elle figure également sur notre blog.
Les ingrédients secs utiles
Des crevettes séchées, faciles à conserver, permettent de préparer aussi bien les salades de papaye verte que de nombreuses yam de mangue verte. Elles font partie des ingrédients les plus polyvalents du garde-manger thaï.
Pour aller plus loin
Notre blog propose déjà plusieurs dizaines de recettes de salades thaïlandaises en accès libre, couvrant toutes les grandes familles. Pour ceux qui souhaitent approfondir, notre livre consacré aux salades offre une approche structurée, tandis que nos ouvrages régionaux, en particulier la cuisine de l’Isan, contiennent de nombreuses variantes traditionnelles. Enfin, pour ceux qui voyagent en Thaïlande, nous proposons des cours de cuisine à Koh Samui pour expérimenter ces recettes de salades et bien d'autres.



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