Cuisine de l’Isan : de l’histoire au goût, les plats qui racontent le Nord-Est
- InFusion

- 28 sept.
- 6 min de lecture

Nous avons entamé une série consacrée aux cuisines régionales de Thaïlande. Après une présentation générale et un premier article dédié à la cuisine du Nord, ce nouvel épisode nous conduit au Nord Est, une région connue sous le nom d’Isan.
Nous allons voir comment l’histoire, la géographie et le climat ont façonné une identité culinaire unique, marquée par les échanges avec le Laos et le Cambodge voisins, par des pratiques de conservation ingénieuses et par une intensité de saveurs devenue emblématique. Riz gluant, larb, som tam, tom sep, grillades et plats fermentés seront au cœur de cette découverte de la cuisine Isan, qui raconte autant une région que ses traditions.
Géographie et héritages qui façonnent la cuisine Isan
L’Isan s’étend sur le plateau de Khorat. À l’est, le Mékong trace une frontière naturelle avec le Laos mais il a toujours relié les rives par ses marchés fluviaux et ses passages, ce qui a entretenu une continuité culinaire très forte. Au sud, les monts Dângrêk bordent le Cambodge. Les échanges y sont plus restreints mais la présence ancienne de communautés khmères dans des provinces comme Surin, Sisaket et Buriram a laissé des touches gustatives bien reconnaissables. Cette double ouverture explique qu’une base très laotienne coexiste avec des influences khmères locales dans la cuisine Isan.
Climat, sols et réponses culinaires
Le nord est de la Thaïlande connaît une saison sèche longue suivie d’une saison des pluies concentrée. Les sols du plateau sont souvent sableux et acides, pauvres en matière organique et sujets au lessivage lorsque les pluies intenses emportent les nutriments en profondeur. Plutôt que d’en faire une faiblesse, les habitants ont créé une cuisine de résilience. Fermentation du poisson et des légumes, séchage et grillage, sauces puissantes et condiments bien pensés prolongent les produits au delà de la saison des pluies et donnent aux plats Isan leur intensité caractéristique. L’usage du piment séché s’inscrit dans cette logique. Il se conserve parfaitement pendant la saison sèche, développe à la torréfaction un parfum profond et colore les sauces d’un rouge franc.
Riz, agriculture et élevage dans le nord est
Le riz gluant est le socle alimentaire de l’Isan et accompagne chaque repas. Une partie est transformée en khao khua, riz gluant grillé puis pilé, qui apporte parfum et texture aux salades et aux soupes. L’Isan produit aussi un riz jasmin très apprécié. Comme beaucoup de rizières dépendent des pluies plutôt que d’une irrigation abondante, la récolte y est souvent unique chaque année. Ce rythme plus lent contribue à la réputation aromatique du hom mali issu de certaines provinces du nord est. Pour sécuriser leurs revenus, les paysans cultivent également manioc, canne à sucre et autres tubercules adaptés à la sécheresse. Les élevages de porcs, de volailles, de bovins et de buffles restent essentiels et expliquent l’abondance de larb, de grillades et de charcuteries. Dans les rivières Chi et Mun, l’aquaculture de tilapia s’est largement développée. Ce poisson abordable s’est naturellement intégré aux préparations du quotidien.
Villes carrefours de goût
Nong Khai est une porte d’entrée sur Vientiane. On y ressent fortement la continuité lao avec ses salades pilées, ses laab, ses koi, mais aussi une présence vietnamienne bien implantée avec kuy chap yuan, nem nuong et pains garnis. Nakhon Ratchasima, plus connue sous le nom de Korat, joue un rôle de grand carrefour intérieur. On y déguste le pad mee Korat, des nouilles de riz de Ban Pradok et un kai yang réputé. La présence vietnamienne y existe, plus discrète qu’à Nong Khai, tandis que les influences de passage se mêlent aux traditions locales.
Ce qui définit la cuisine Isan
La cuisine Isan se reconnaît d’abord à l’alliance du riz gluant et du khao khua. L’un nourrit et structure le repas. L’autre, grillé et pilé, apporte une note toastée qui lie les préparations. Les piments séchés, souvent grillés puis pilés, donnent de la profondeur aux bouillons et aux sauces. La nam chim jaew en est l’emblème. Cette sauce rouge mêle piment séché, tamarin, khao khua et aromates. Elle accompagne idéalement le poulet et le porc grillés.
Salades pilées et som tam
La technique du pilage, partagée avec le Laos, guide une large famille de salades. La som tam, salade de papaye verte, illustre cette grammaire. En Isan, elle se prépare volontiers avec du pla ra, le poisson fermenté local, et parfois des crabes d’eau douce. D’autres légumes passent au mortier, du concombre au bambou, pour des salades fraîches et intensément assaisonnées. Le pilage n’est pas un simple geste. Il marie vraiment les saveurs et modifie la texture pour mieux porter l’assaisonnement.
Larb, nam tok et culture du cru
Le larb Isan assemble viande hachée, khao khua, jus acide, herbes et piment séché. Il se distingue nettement du larb du Nord qui s’appuie sur un mélange d’épices sèches rôties. Le nam tok applique la même logique à de la viande grillée tranchée, souvent du bœuf ou du porc, dont la surface caramélisée répond au croquant du khao khua. La culture du cru se retrouve dans les salades de type "koi". Les plus fréquents sont le koi de bœuf cru et les koi de poissons de rivière. Ils sont assaisonnés juste avant service avec citron, piment séché et herbes. Cette pratique souligne l’importance de la fraîcheur et le goût pour l’intensité directe en Isan.
Soupes tom sep, une identité dans un bol
La tom sep s’écrit ต้มแซ่บ. Tom évoque la cuisson en bouillon. Sep, en dialecte Isan, signifie savoureux et bien relevé. La tom sep est un bouillon clair, piquant et acidulé. Il est parfumé d’herbes locales et parfois épaissi par une pincée de khao khua. On la prépare souvent à base de bœuf, morceaux gélatineux ou abats. Elle incarne la recherche d’un goût net, à la fois simple dans sa construction et riche dans sa sensation.
Grillades, le feu comme révélateur
Les grillades sont omniprésentes parce qu’elles sont adaptées aux ressources locales et très efficaces. Une marinade bien pensée, un feu maîtrisé et une sauce trempette suffisent à sublimer l’ingrédient. Le kai yang, poulet grillé, et le mu yang, porc grillé, sont indissociables du riz gluant et de la nam chim jaew. Le sua rong hai, souvent traduit par tigre qui pleure, assemble bœuf grillé et sauce rouge au tamarin et piment séché. Ce plat est devenu un classique national tout en restant profondément Isan.
Fermentations et plats de riz croustillant
La fermentation est un savoir faire structurant. La sai krok Isan est une saucisse de porc mêlée de riz cuit. Le nêm mu est en revanche une préparation de porc fermenté. On le retrouve dans la salade de riz croustillant appelée nêm kluk, mélange de riz frit émietté, de nem et d’herbes fraîches. Ces techniques prolongent les produits et créent des profils gustatifs très particuliers.
Insectes et marchés nocturnes
Dans les marchés du soir, on croise criquets, grillons et vers de bambou grillés ou sautés. Ce sont des encas croustillants et une source de protéines facilement disponible. Ils illustrent l’approche pragmatique de l’alimentation en Isan, attentive à ce que le terroir et la saison offrent.
La cuisine Isan, un héritage vivant et savoureux
La cuisine Isan se construit sur des contraintes naturelles fortes, mais elle en a fait des atouts. Les sols pauvres ont encouragé les pratiques de conservation et de fermentation. La sécheresse a popularisé l’usage des piments séchés, grillés puis pilés pour prolonger leur puissance. Le Mékong et ses marchés fluviaux ont consolidé la parenté avec le Laos, tandis que les reliefs du sud ont permis de garder des saveurs khmères locales. De cette histoire sont nés les grands plats du Nord Est : riz gluant, khao khua, som tam, larb, nam tok, koi, tom sep, grillades et fermentations. Ces spécialités racontent l’Isan autant que ses paysages et ses saisons. Elles sont devenues des emblèmes nationaux, mais gardent une identité très marquée, reconnaissable entre toutes.
Cuisiner l’Isan chez soi en cinquante recettes
Pour celles et ceux qui veulent prolonger ce voyage culinaire, j’ai réuni dans un livre cinquante recettes authentiques de l’Isan. Certaines demandent des ingrédients spécifiques mais beaucoup sont accessibles et faciles à réaliser. Elles permettent de s’initier à la culture du larb, de préparer une salade de papaye verte, ou de se régaler avec une belle viande de bœuf grillée aux herbes. Ce livre est une porte d’entrée idéale pour cuisiner chez soi la richesse de la cuisine Isan.



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